Loiez Deniel: “Pour le son, İstanbul c’est un Taksim d’oud sur un maqam rast remixé par Mozart, un set de Vjing hypnotique et obsédant.”

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Sa rencontre avec “İstanbul” c’est faite de manière fortuite, comme la notre…
Loiez Deniel, photographe voyageur poète…
 
Pouvez vous nous parler un peu de votre vie aventureuse a la poursuite des photos?
Tout d’abord je voudrais dire que je ne me définis pas comme un photographe et en tout cas pas plus que ces millions de gens qui ont réalisé plus d’un milliard de selfies cette année. Je pense que l’époque n’est plus aux définitions, aux cadres, aux statuts et fonctions qui enferment et stérilisent toute approche un tant soit peu nouvelle. Mais si, pour autant, je devais sigler mon travail je parlerais de poète, poète voyageur.
Artwork – Eminönü
Depuis de nombreuses années je navigue, sans compas ni boussole, entre réalité de faits et territoires virtuels. J’essaye à mon simple niveau et dans l’humilité de ma démarche d’être un hacker de la vie, de la mienne s’entend. Dès lors mon appareil photo devient une clé pour ouvrir les portes de murs invisibles, la photographie est le médium du transport, un ticket low cost vers des ailleurs, des possibles. Ma démarche emprunte au concept de «Dérive » définie par les situationnistes et en particulier Guy Debord dès 1956 (http://fr.wikipedia.org/wiki/Dérive_(philosophie)). J’essaye de me laisser porter par mes propres émotions et ma pensée devient mon itinéraire. Je fais en sorte de libérer mon regard et je shoote à l’instinct. Je sais aussi que chaque fois que je fais une photo c’est mon reflet que je fige.  Je fais de la photographie dans une démarche d’introspection, l’usage est thérapeutique, c’est une forme d’auto-analyse. J’archive mon travail dans une logique inconsciente et je sais qu’à un moment ou un autre il va me falloir reconstituer  le puzzle malgré les milliers de pièces qu’il contient. Cela pourra prendre des formes plus littéraires, plus proche d’un concept d’installation, mais j’avoue que je ne sais pas encore où s’arrête le chemin et puis je ne suis pas pressé d’y arriver . Je n’ai pas de sujet de prédilection, je recherche la fracture, la poésie, l’histoire courte tout autant que l’esthétisme ou la géométrie des formes. Ces dernières semaines je me suis intéressé aux chiens errants  tout comme Orhan Pamuk je pense qu’ils sont les derniers vrais et libres touristes d’İstanbul. Je travaille essentiellement en noir et blanc  et depuis peu avec des couleurs largement désaturées. Dans une approche de photographie documentaire je trouve que la couleur ajoute du bruit inutile et si elle n’est pas signifiante je m’en passe à l’édition. Dans la rue je travaille avec un Fuji X-Pro1 équipé d’un équivalent 35mm. Une caméra, un objectif, un battement de coeur , c’est je crois bien assez pour faire de la photographie de rue.
Portrait – Eminönü
 
Depuis quand et pourquoi aviez vous choisi vivre (voyager) à İstanbul?
Je suis arrivé de manière fortuite à İstanbul en 2009. A cette époque j’avais entrepris de découvrir en train les capitales européenne. C’était un projet qui s’appelait «Le voyage imaginé» et qui paradoxalement reposait sur l’idée que sans imaginer ni projeter quoi que ce soit, ce que j’allais vivre permettrait tous les itinéraires, tous les possibles, tous les errements poétiques.
Moins de deux heures après mon arrivée à İstanbul j’ai rencontré dans İstiklal un jeune photographe turc qui travaillait avec un Canon Mark II. A cette époque j’étais l’un des premiers français à avoir acheté ce type d’appareil et dans une ville de 20 millions d’habitants  je rencontrais le vraisemblable unique possesseur de ce même appareil. Là encore l’appareil photo fût le sésame pour engager le contact avec İstanbul. Avec Volkan Doğar (http://www.kodacollective.com/photographers/volkan-dogar) puisqu’il s’agissait de lui nous avons arpenté une longue semaine les rues d’İstanbul, puis nous avons décidé de partir pour Van et de rejoindre les montagnes de l’Anatolie du Sud-Est. Ce fût un moment fondateur de ma relation avec İstanbul et de mon désir de mieux connaître et comprendre ce qui faisait la spécificité de cette ville, d’où venait son énergie, sa différence, tout en sentant confusément que quelque chose était entrain de changer profondément ici et que j’avais cette chance de pouvoir en être le témoin direct. Ensuite à chacun de mes voyages à İstanbul mon réseau s’est étoffé. Certaines amitiés se sont dilués dans le fil de la vie, d’autres se sont renforcées. Mais je dois dire qu’aujourd’hui je me sens plus entouré à İstanbul que nulle part ailleurs.

 

Comme une fantôme

 

Quel est votre définition d”artiste”?
Comme je l’ai dit précédemment je n’aime pas beaucoup les définitions et les restrictions qu’elles engendrent. J’ai le sentiment que tout le monde est un artiste à sa façon. Chacun sculpte sa vie avec les outils dont-il dispose. La matière est l’art et seul le mouvement fait sens de mon point de vue.
Quel est votre définition d”art”?
L’art existe t- il encore ?  Là aussi il s’agit de cadres  et de formatage. Je ne m’intéresse aujourd’hui qu’à ce qui se situe en dehors du cadre. Ce qui est invisible à l’oeil se doit d’être révélé, partagé, remixé à l’infini. L’art est le flux et son tempo. Il inscrit le monde dans une révolution permanente en interrogeant les rapports de force et les fractures du vivre ensemble. Etre ici à İstanbul me permet d’être nulle part et partout à la fois et il faut être nulle part pour parler à ceux qui sont quelque part.
Quel est votre définition de bonheur?
C’est pour moi la capacité de conscientiser le présent, de lui donner sens, profondeur et humanité. Je m’inscris toujours dans le questionnement de la bonté et j’en fais un objectif de carrière. Se sentir bon c’est être proche du bonheur : c’est la « bonne heure »

 

Nourir les oiseaux

 

 
Quel sont vos photographes préférés? Les votres et des autres?
J’ai bien sûr un grand respect pour les maîtres de la photographie documentaire, Koudelka, Doisneau, Cartier-Bresson, Ara Güler pour İstanbul évidemment mais je n’ai aucun maître à penser. Je croise tous les jours sur internet des photographes aux talents surprenants et variés. Tout cela m’entoure et, je suppose, influence inconsciemment ma pratique photographique. A İstanbul et dans leur manière de photographier la Turquie je m’incline devant la qualité du travail des photographes de l’agence NAR photos. Actuellement,  je suis aussi avec beaucoup d’intérêt le travail de mon ami Robert Croma (https://www.flickr.com/photos/croma/)
Pourriez vous définir votre İstanbul en cinq sens,  comme  odeur, son,  vue,  gout et touche?
Je crois qu’il faut être un «nez» exceptionnel pour définir l’odeur d’İstanbul. C’est un tel mélange de fragrances, orientales bien sûr mais parfois à mon grand étonnement bien plus occidentales que celles que je peux ressentir en France à quelques milliers de kilomètres à l’ouest d’İstanbul. C’est troublant mais je pense que c’est un parfum de femme.
Pour le son, İstanbul c’est un Taksim d’oud sur un maqam rast remixé par Mozart, un set de Vjing hypnotique et obsédant.
La vue c’est une multiple expositions de «no photos» qui se superposent et s’entrechoquent à l’infini et formant une espèce de magma bruyant dans les couloirs de ma mémoire. Une «no photo» est ce moment précis où l’oeil accroche une scène d’une beauté absolue mais quand par négligence vous n’avez pas emporté avec vous votre caméra ou que par lassitude vous ne vous décidez pas à la sortir de votre sac, alors il ne reste plus qu’à imprimer en mots cette scène sur le film sensible de votre conscience.
Et bien entendu le toucher reste les multiples contacts de l’amitié, des mains qui se serrent, des interminables big hugs, du turkish kiss et des têtes qui se cognent, le temps des rencontres et celui des départs. La codification du mouvement.
Pause cigarette
Y a-t-il un projet dont vous revez pour İstanbul?
Comme déjà au 17 ème siècle les orientalistes voyageurs européens, témoins de la modification architecturale rapide de la ville, regrettaient l’ancienne Constantinople, je cherche encore moi aussi l’İstanbul que j’ai connu il y a seulement 5 ans. Ici comme ailleurs je pense que la gentrification va faire imploser la ville et que le vent de liberté qui a pu souffler sur la Corne d’Or ne sera plus bientôt que la brise marine de la mondialisation et de la standardisation de la consommation. L’arabisation croissante d’Istiklal est assez révélatrice à mon sens de ce que devient aujourd’hui İstanbul. Depuis deux ans je me suis installé à Kadikoy où il reste encore des poches de résistance à cette uniformisation des styles de vie. Mais j’ai un passeport français et je n’ai qu’un rôle d’observateur passif. C’est bien aux stambouliotes d’imaginer leur avenir. Pour autant j’aimerais voir İstanbul s’inscrire dans une démarche volontariste dans le domaine des cultures digitales. Je pense qu’İstanbul a tous les atouts pour devenir l’une des places majeurs de l’art contemporain dans le monde. Aujourd’hui je préside le plus ancien festival International d’art vidéo: Vidéoformes.  Je réfléchis à la manière d’exporter ici le savoir faire et le réseau d’artistes internationaux que nous avons bâti en France.
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