Jülide Bigat, un portrait de femme franco-turque qui a choisi de vivre à Istanbul

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Il y a un portrait de femme que je souhaitais vraiment faire… Jülide Bigat. Elle est mon amie et ma collaboratrice depuis quatre ans. Je veux vous la présenter en raison de sa sensibilité en tant que personne et pour son talent d’avoir su créer «Lokomotif» une association culturelle dès sa première année à Istanbul, ville où elle a choisi d’habiter… pour sa persévérance dans l’apprentissage du turc.

Dis moi pourquoi tu as choisi de vivre à Istanbul? 
Mon père est turc ma mère française. J’ai toujours vécu à l’étranger et j’ai été élevée dans la culture française. Je n’ai pas appris le turc et en venant en Turquie j’ai voulu me réconcilier et découvrir cette autre partie de moi que j’ignorais. Lorsque je suis arrivée j’avais 30 ans. J’ai découvert une ville à la fois européenne et très orientale. J’ai aimé les turcs et surtout leur façon de créer du lien social, leur façon de se rencontrer, de montrer leur affection, le respect de certaines valeurs, les ainés, la famille. Je trouve les turcs doux et joyeux…. attentifs. En France les gens vivent trop dans l’indifférence. Mummm… parfois tout de même j’ai l’impression que les turcs ne sont pas très fiables,  je pense aux petits mensonges inutiles, aux retards répétés, à l’approximation… Mais c’est un autre sujet.

Jülide Bigat, Moda Deniz Kulübü, 2011
Tu entendais parler d’Istanbul pendant ton enfance? Comment tu imaginais cette ville?
En fait j’entendais parler d’Istanbul par ma mère qui me racontait son histoire à Istanbul car elle y a vécu 10 ans et y a passé des années marquantes. Elle y a rencontré mon père. Mon frère et moi sommes nés à Istanbul. Cétait son premier voyage. J’entendais aussi parfois mon père parler turc avec ses amis ou avec la famille au téléphone. Mais à la maison nous ne parlions que français. La Turquie cela restait tout de même vague; Je comprenais pourtant que c’était important, un élément  fondateur.  Istanbul était plus une notion, quelque chose d’énigmatique qu’une ville réelle pour moi enfant. Une ville qui appartenait à un autrefois dont je ne me souvenais pas. Nous habitions à Londres. Je me souviens par contre des grands sacs de cadeaux et vêtements que mes grands parents nous envoyaient avec de grosses chemises de nuit épaisses en coton. Ils devaient avoir peur qu’on attrape froid dans la grisaille londonienne ! C’était aussi une façon d’avoir un contact avec nous, d’entretenir le lien car je les ai vus très peu enfant, quelques fois…

Quels sont tes lieux préférés à Istanbul? 
J’aime Sultanahmet et le Palais de Topkapı. Peut être parce que quand j’y suis, avec les touristes, j’ai l’impression moi aussi d’être en voyage. J’aime quand tout à coup les muezzins font l’appel à la prière et que cela résonne de tous les côtés. J’aime les petites tables au bord de la Corne d’Or et du pont de Galata derrière le marché aux poisson de Karaköy. C’est encore simple, authentique. Souvent je vais aux îles aux Prince. Il y a un côté suranné qui me plaît et depuis les rives des îles, depuis cet îlot de nature ont peut voir le côté monstrueux et tentaculaire d’Istanbul. Et puis biensûr il y a Kadıköy, Moda où je suis née et où je vis… 

Il y a tellement de lieux étonnants dans la ville. Plus que des quartiers, moi ce sont des «micro» lieux qui me parlent. Alors lorsque je parlais de Topkapı, je pense à un banc qui est au niveau de la troisième cour, en face de l’eau. Lorsque je parle de Karaköy, je pense à la vue à gauche de l’embarcadère et à ces petites tables tout près de l’eau. Lorsque j’évoquais Moda c’est par exemple les rambardes devant le parking du club de Moda. C’est un spot incroyable avec le bleu de la mer à perte de vue… J’ai mes petits coins privilégiés aussi à Fenerbahçe. La plupart des lieux que j’aime sont au bord de l’eau. Il y en a d’autres. Comme par exemple le marché de Kadıköy. Je me souviens avoir eu l’occasion une fois d’y aller avec ma grand mère qui m’y montrait ses habitudes, ses commerçants. Je repense à elle lorsque je le traverse. J’aime regarder les étalages éclairés par des ampoules à nu, la façon dont est organisée la présentation des légumes, tous bien alignés… En contraste avec le fouillis ambiant, la foule…

Jülide Bigat, lors d’un atelier organisé le 12 février 2012 pour les enfants
défavorisés en collaboration avec l’association ÇYDD.

Et si tu devais attribuer cinq sens à Istanbul. Comme le goût, l’ouïe, l’odeur, la vue et le toucher? 
Si Istanbul était un goût ce serait celui du Helva que je mangeais enfant; un goût que j’ai toujours lié à la Turquie. Si Istanbul était un son, il serait multiple, cacophonique. Ce serait comme une musique, le son d’une clarinette et des darbukas jouant un air des balkans, avec en fond celui de l’appel à la prière mélangé au cris des vendeurs de rue qui passent en bas des maisons. A ce propos, j’ai découvert une nuit avec surprise que certains de ces vendeurs opèrent … principalement la nuit… Un jour lorsque je suis rentrée très tard chez moi, j’entends depuis mon lit très au loin la voix d’un homme, un son qui ressemblait à «Booooooooooooohh…. za» répété sans cesse dans la nuit.(elle l’imite) Je me suis dit mais c’est pas possible des gens qui crient comme ça dans la nuit, c’est sûr il y a des voisins qui vont se plaindre, lui dire de se taire de ne pas réveiller tout le quartier. Et lorsque le bruit s’est rapproché de ma fenêtre j’ai entendu dans l’immobilité de la nuit plus précisément «Boza». Là j’étais vraiment encore plus étonnée car je me suis demandée si vraiment des gens se lèvent à 2h du matin pour boire une boisson chaude !? Lorsque j’en ai parlé à des amis, tous ont souri attendris en disant que c’était traditionnel et très bien même si eux, n’en achètent jamais!

Mais noooonnn Jülide. J’achete souvent du Boza et d’ailleurs il n’est pas une boisson chaude mais froid et très bon. Je vais te faire gouter une nuit à Vefa.
İnşallah ! (elle rit et continue…) Si Istanbul était une odeur, celle de la mer, du poisson grillé. Si Istanbul était une vue ce serait la vue d’une carte postale que j’aimerai acheter pour envoyer et montrer fièrement la ville où j’ai la chance d’être née. Une photographie prise depuis Karaköy en direction de Sultanahmet. Et enfin, si Istanbul était un toucher, ce serait un geste tendre de mon père.

Jülide Canca Eke joue pour le IV. Burunda Sanat Festivali, 2011, Moda

Pourquoi as-tu décidé de monter une association?
Lorsque je suis arrivée à Istanbul je ne parlais pas un mot de turc. A Paris je travaillais dans des agences d’organisation d’événements mais ce n’était pas possible pour moi de faire ce métier en Turquie sans connaître la langue. J’avais besoin de continuer à m’investir dans un projet en lien avec l’événementiel mais aussi la culture. Je voulais monter enfin mes propres projets. De la phase de création à la mise en place. A la recherche de mes racines, je me suis installée à Moda parce que j’y suis née et parce que ma famille y vivait. J’ai eu envie de créer des événements culturels à Moda car le quartier ressemblait à une belle endormie tandis qu’en face à Taksim c’était culturellement l’effervescence. J’ai voulu à travers le festival que j’ai crée «Burunda Sanat Festivali-Moda» qui a lieu tous les ans au mois de septembre parler de Moda et ses habitants. Partir de son histoire pour proposer des parcours artistiques. Et puis je t’ai rencontrée et on a formé une belle équipe! Toi aussi tu aimais Moda, tu y vivais. L’association Lokomotif est née. On en a vécu des moments ensemble avec tous nos projets et l’association! J’aime repenser à tout ce chemin qu’on a fait avec les autres bénévoles aussi. Nous avons même réussi à faire venir un gros projet de création sonore organisé avec Istanbul 2010 à Kadiköy, le projet « Sound Shift Istanbul Marseille Culture on the Edge » alors que les organisateurs français voulait au départ travailler à Taksim, Cihangir… Le projet a duré près d’un an… et cela s’est passé sur notre rive! Lokomotif était le partenaire principal.


Je suis heureuse qu’on se soit rencontrées et devenues amies et qu’on a pu réussir tant de projets… Quel est la place de l’art dans ta vie?

L’art n’a pas beaucoup de place réellement dans ma vie. C’est étonnant mais vrai. Ne le comprend pas mal. Je ne suis pas une collectionneuse, ni une fan inconditionnelle des musées même si j’aime certains lieux où je vais régulièrement comme Le Centre d’Art Contemporain Pompidou à Paris ou Istanbul Modern à Istanbul. Plus que l’art ce qui me plaît dans ma vie c’est de rencontrer les hommes et les femmes qui créent quelque chose. Je suis fascinée par leurs parcours atypiques, par leur capacité à rendre compte de leurs émotions à travers une œuvre, d’oser ensuite partager ce travail avec le grand public. Cette œuvre peut être de la peinture, du théâtre, de l’écriture, de la musique. 

J’ai beaucoup d’amis artistes parce qu’avant tout je les ai admirés et j’ai eu envie de les connaître. Ce qui compte dans ma vie ce sont les gens, avant toute chose. Les personnes dont j’ai choisi de m’entourer prennent beaucoup de place dans ma vie. «Aimer l’art», «parler d’art»….  La rhétorique autour de l’art  me semble chez la plupart des gens être un fait de snobisme et une volonté de s’apparenter à une élite intellectuelle. Moi je suis une personne simple. J’aime ce qui est populaire dans le sens de «peuple». Je me vois comme cela de l’intérieur. (sourire)

Gonca Gümüşayak danse pour  IV.Burunda Sanat Festivali, 2011, Moda

Penses tu que l’art donne du bonheur?

Dans le sens où l’art interroge il crée un lien, un dialogue entre les créateurs et le public. Il permet de poser un regard aiguisé sur la société, sur nos actes, la politique, l’œuvre d’art, sortie d’un contexte purement esthétique, devrait inviter à réfléchir. Si l’art permet de prendre du recul, de dialoguer alors il ouvre peut être une voie vers un chemin plus harmonieux et dans ce sens donner du bonheur. Si je me place du côté des artistes, je pense qu’il ne s’agit pas de bonheur. Pour les artistes créer est avant tout une nécessité, un besoin débordant.

Merci Jülide pour ce moment partagé ensemble.

C’est moi qui te remercie ! Ton blog est une très beau projet et je suis heureuse d’y participer à travers ce reportage. 

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